Un examen de passage
La peur de voir son nouveau conjoint rejeté par ses enfants est aujourd’hui chevillée au corps de chaque personne qui s’apprête à faire l’expérience de la recomposition familiale. Ont-ils digéré la séparation ? Vont-ils accepter cet homme ou cette femme ? Sont-ils prêts à cohabiter ? « Il y a chez les parents une attente de validation par leurs enfants de leurs choix amoureux, constate la psychologue Maryse Vaillant (1).
C’est un phénomène massif, qui traduit notre grande difficulté à être adulte. Quand on est père ou mère, il est important d’être à la fois libre et responsable de ses engagements. Mais ce qui se passe souvent, c’est que l’on y renonce pour se placer sous la tutelle de ses enfants ! »« Ce phénomène est, selon moi, une caractéristique de notre époque, et découle directement du non-respect de l’ordre des générations, ajoute la psychanalyste Sylviane Giampino (2). En faisant de leurs enfants leurs référents, les parents les placent en situation d’autorité sur eux. Un renversement très angoissant pour l’enfant : d’abord, parce qu’il ne peut pas savoir ce qui est bon pour son père ou sa mère ; ensuite, parce que lorsque sa parole a des effets dans la réalité, cela renforce son illusion de toute-puissance et nourrit son angoisse et sa culpabilité. »
Si les parents envisagent les présentations du nouveau conjoint comme un examen de passage, avec leurs enfants dans le rôle de jurés, c’est aussi, selon Alain Braconnier (3), psychiatre et psychanalyste, en raison d’un paradoxe bien contemporain. « Les adultes d’aujourd’hui pensent plus à leur épanouissement personnel que ceux d’autrefois. En même temps, ils se soucient davantage des répercussions de leurs choix sur la vie de leurs enfants. D’où le fait qu’ils soient extrêmement attentifs à tout ce qui peut chahuter ces derniers. D’autant qu’ils sont bien conscients qu’un divorce est toujours une blessure pour eux. » Alors comment passer au mieux l’épreuve de la première rencontre ? Trois spécialistes de la famille nous livrent leurs conseils.
- Maryse Vaillant, auteure de Récits de divan, propos de fauteuil (Albin Michel, 2007).
- Sylviane Giampino, auteure des Mères qui travaillent sont-elles coupables ? (Albin Michel, 2000).
- Alain Braconnier, auteur du Guide de l’adolescent (Odile Jacob, 2007).
Une famille recomposée, trois rôles différents
Le beau-parent
Désireux de faire bonne impression, il a parfois tendance à en faire trop. Mauvais calcul. Car, même si cette maladresse part toujours d’une bonne intention, les enfants, et plus encore les adolescents, disposent de vraies antennes pour détecter la gaieté forcée, le faux naturel, l’empathie exagérée. Le bon comportement à adopter ? Ni trop, ni trop peu. De questions, de familiarité, d’enthousiasme…
Le parent
Mieux vaut éviter de faire l’éloge de son nouveau partenaire, car l’enfant peut entendre ce discours comme une disqualification de son père ou de sa mère. Il suffit de lui donner le nom, la profession et la situation familiale (avec ou sans enfant) de son futur beau-parent.
Le moment pour en parler
L’annonce de l’arrivée d’une nouvelle personne dans la vie des enfants constitue toujours pour eux, et leurs parents ne l’oublient pas, une nouvelle source de perturbation. « Pour les adultes, l’après-divorce est une période transitoire. Mais pas pour les enfants, qui n’ont pas la même notion du temps et qui se sont installés dans cet “après” », précise Maryse Vaillant. Conscients de l’onde de choc que leur progéniture doit encaisser, pères et mères s’interrogent sur le meilleur timing. « On commence par leur dire simplement que l’on a rencontré quelqu’un d’important, sans aller plus avant dans la confidence. Les enfants ne doivent pas avoir fenêtre ouverte sur la vie intime de leurs parents, insiste la psychologue. On en dit davantage seulement lorsque le projet de vie commune se précise. »
Si un bon timing participe au confort émotionnel et au sentiment de sécurité de l’enfant, il ne faut pas oublier que cette notion est subjective. « La relation parent-enfant est vivante, elle ne fonctionne pas selon un quelconque mode d’emploi, on ne peut donc pas conseiller un moment idéal, assure Sylviane Giampino. Tout ce que l’on peut dire aux parents, c’est que tout changement intervenant dans la vie de leurs enfants doit être discuté, préparé et progressif. »
Quant à la manière d’aborder le sujet, il n’existe pas non plus de mode d’emploi. « Il y a surtout deux écueils à éviter, prévient Alain Braconnier : la solennité, car elle est angoissante et inutilement dramatique, et la désinvolture, à cause de laquelle l’enfant risque de ne pas se sentir respecté. En outre, il pourrait percevoir l’anxiété de son parent derrière ce qui peut n’être qu’une décontraction de façade. »
Les bons mots pour le dire
Si le souci de ménager les enfants est présent chez la plupart des parents, il n’évite toutefois pas les dérapages par excès de zèle. Frédéric, 38 ans, reconnaît en avoir « trop fait » en listant à sa fille de 8 ans toutes les qualités de Valérie, sa nouvelle compagne. « Elle m’a écouté sans rien dire et puis, tout à coup, m’a dit presque en pleurant : “Maman n’est pas nulle, elle aussi elle est drôle et gentille. En plus, elle fait de bons gâteaux roulés.” Je me serais giflé, ça m’a servi de leçon. »
Attention, donc, aux portraits trop flatteurs qui sont perçus par l’enfant comme une façon implicite de disqualifier l’autre parent. « Pour se construire, l’enfant a besoin d’avoir une bonne image de ses deux parents. C’est pourquoi il vaut mieux évoquer son nouveau partenaire avec pudeur et délicatesse. On gagne toujours à en dire moins que trop. D’accord pour dire son prénom et sa profession, mais on laisse les uns et les autres faire progressivement connaissance, sans exercer de pression pour forcer la sympathie », conseille Alain Braconnier, qui précise également que les projets de vie (cohabitation, déménagement, partage de chambre…) ne seront évoqués que s’ils sont bien avancés, afin de laisser l’enfant ou l’adolescent digérer l’information à son rythme.
Les meilleurs endroits pour les présentations
Une autre question stratégique taraude les parents : où faire les présentations?? La plupart d’entre eux misent beaucoup sur le « bon lieu » afin d’aplanir les difficultés. En réalité, pour Sylviane Giampino, Maryse Vaillant et Alain Braconnier, l’essentiel est de laisser de l’espace à l’enfant. Un repas au restaurant, un goûter dans le salon familial, une promenade en forêt, pourquoi pas ? Tout est envisageable, à condition que l’enfant puisse échapper quand il le désire au regard anxieux ou scrutateur des adultes. Les enfants, et peut-être plus encore les adolescents, disposent de véritables antennes pour détecter le faux naturel, la fausse gaieté ainsi que toutes les manœuvres de séduction pour se faire accepter.
Certains parents attendent les vacances d’été, quand la maison familiale ouvre ses portes et que le va et vient des uns et des autres rend l’ambiance plus légère. Est-ce le moment pour annoncer l’élargissement de la famille ? « C’est une bonne idée de profiter de cette période où l’on a du temps pour soi et pour les autres, constate Maryse Vaillant. Mais attention : on ne présente pas son nouveau conjoint à la table du petit déjeuner après avoir passé la nuit avec lui, et l’on n’impose pas sa présence pendant toute la durée des vacances sous prétexte de mieux faire connaissance. »
Cette mise en garde sonne comme une évidence, mais on l’oublie parfois, tant le souci de se déculpabiliser et de banaliser l’événement peut l’emporter sur le bon sens.
Pourquoi les enfants font de la résistance
Faut-il présenter son nouveau partenaire à l’ancien ?
Certains parents estiment qu’il est de leur droit de faire la connaissance de la personne qui va vivre avec leur enfant au quotidien ou seulement un week-end sur deux. Un souhait qu’il est possible de satisfaire sans que cela comporte de risques pour l’enfant, « à condition que trois critères soient satisfaits », nuance toutefois la psychologue Maryse Vaillant.
- La relation entre les ex-conjoints doit être apaisée, sinon le nouveau partenaire constituera un nouveau motif de conflit.
- La rencontre ne s’impose vraiment que lorsque les deux adultes ont à se rencontrer dans des situations qui impliquent la présence de l’enfant (retour de week-end, de vacances, etc.). Sinon, l’enfant peut interpréter cette présentation comme un examen de passage, ce qui dévalorise le parent qui a refait sa vie.
- Le parent ne doit jamais communiquer à son enfant l’impression que lui a faite le nouveau partenaire de son ex-conjoint. Cela afin que l’enfant puisse tisser une relation saine avec son beau-parent sans adopter le point de vue de son père ou de sa mère.